![]() |
||
Johann Peter Hebel Retrouvailles Inespérées / Unverhofftes Wiedersehen (1811)
(Traduction en français)
Pendant ce temps, la ville de Lisbonne au Portugal fut détruite par un tremblement de terre, et la guerre de Sept Ans prit fin, et l'empereur Francois Ier mourut, et la Compagnie de Jésus fut supprimée et la Pologne partagée, et l'impératrice Marie-Thérèse mourut, et le comte Struensee fut exécuté, l’Amerique devint indépendante, et les forces françaises et espagnoles réunies ne purent conquérir Gibraltar. Les Turcs enfermèrent le géneral Stein dans la grotte Veterani en Hongrie, et l'empereur Joseph mourut aussi. Le roi Gustave de Suède conquit la Finlande russe, et la Révolution française éclata avec sa longue suite de guerres, et l'empereur Léopold II fut a son tour enterré. Napoléon conquit la Prusse, et les Anglais bombardèrent Copenhague, et dans les champs on semait et moissonnait. Le meunier en faisait de la farine, et les forgerons battaient le fer, et les mineurs, dans leur atelier sous terre, creusaient a la recherche de métaux dans la roche. En 1809, aux alentours de la Saint-Jean, les mineurs de Falun qui s'appretâient à creuser une galerie entre deux puits à quelque trois cents aunes sous terre ont dégagé du milieu des gravats et de l'eau vitriolée le cadavre d'un jeune homme tout imbibé de vitriol de fer, à part ça très bien conservé et d'aspect inaltéré. Il l'était à tel point qu'on pouvait sans peine reconnaître ses traits et son âge comme s'il venait de mourir il y a une heure ou s'était un peu endormi au travail. Mais quand on l'a remonté a la lumiere du jour, père et mère, amis et connaissances étaient morts depuis longtemps, personne ne savait qui était ce jeune homme endormi ni n'était au courant de ce qui avait bien pu luinarriver jusqu'à ce que la fiancée d'autrefois vienne le voir, le mineur qui un jour était parti au travail et n'en revint jamais. Le cheveu blanc, ratatinée, elle s'avançait, appuyée sur une béquille, vers l'endroit où il était exposé et reconnut son fiancé; et elle s'effondra, animee d'un sentiment de joie émerveillée plutôt que de chagrin, sur le cadavre tant aimée, et après s'être remise de l'émotion qui l'avait prise et submergée, elle a dit: " C'est mon fiancé, lui dont j'ai porté le deuil cinquante ans durant et que Dieu m'a fait la grâce de revoir avant ma mort. Huit jours avant notre mariage, il est descendu dans la mine et n'est jamais remonte".
Les gens qui faisaient cercle autour d'elle avaient le cœur serré et les larmes aux yeux de voir la fiancée d'autrefois à présent sous l'aspect d'une pauvre petite vieille flétrie au côté de son fiancé encore si jeune et si beau; de voir comment s'était ranimée dans son coeur la flamme d'un amour d'il y a cinquante ans tandis que lui ne pouvait, les lèvres scellées, lui sourire, les yeux fermés, la reconnaître; et de la voir enfin demander aux mineurs de le porter chez elle puisqu'elle etait la seule proche qui lui restait et qu'elle y avait droit, en attendant que la tombe au cimetière fût prête. Le lendemain, la tombe une fois creusée, alors que les mineurs venaient le chercher, elle a sorti d'un coffret le foulard de soie noire liseré de rouge, le lui a noué autour du cou et vêtue de sa robe du dimanche, elle l'a accompagné non pas tant pour l'enterrer, lui, que pour se marier, elle. Et lorsqu'on l'a descendu en terre, elle a dit: "Dors bien maintenant, bien au frais, dans notre lit à tous deux, ce n est qu une question de jours, encore un peu de patience. J'ai encore deux ou trois affaires à régler, et je te rejoindrai bientôt, et bientôt il fera de nouveau jour". Et en partant, au moment d'embrasser les lieux d'un dernier regard, elle a dit: "Ce que la terre a rendu une première fois, il n y a pas de raison qu'elle le retienne une seconde fois".
|
||
Traduction: Bernard Gillmann |
||
![]() zurück |